POURQUOI LA CHASSE A L'ARC ?

POURQUOI COLLECTER DES TROPHEES

Pourquoi chasser ? Pourquoi essayer de détruire quelque chose que l'on aime ? En premier lieu "détruire" n'est peut être pas le bon terme… est ce tuer ? Non c'est trop fort… trop destructeur… nous revoilà sur le verbe détruire….En y réfléchissant le véritable verbe pourrait être "posséder" oui ! C'est cela le besoin d'avoir pour soi une chose ou un être inaccessible.

         Certains de mes amis me disent : -"pourquoi ne pas faire de la chasse photographique ?" la photo… j'ai essayé… super ! Super… frustrant ! Le besoin "ce" besoin de posséder : sur du papier glacé ? La belle affaire ! J'ai pu me leurrer un certain temps, c'est vrai ! J'y avais pourtant mis les moyens : safari en Afrique, zoom avec une grande focale, un séjour dans un parc national kenyan : tout pour plaire… j'y ai presque cru, approche silencieuse, le coeur qui bat, clic ! clac ! C'est dans la boîte ! et hop on passe à un autre animal ! clic ! clac ! Encore dans la boîte ! Trente animaux par jour et même des troupeaux entiers en un seul clic ! Résultat: un stock de photos réussies que personne n'a envie de voir… même pas son auteur tant nous connaissons ce type de clichés (sic !). La télévision, le cinéma et les magazines nous abreuvent d'images plus réussies les uns que les autres. Impossible d'égaler ces spécialistes et d'ailleurs : pourquoi le faire ? Attention ! Loin de moi de critiquer les professionnels des reportages animaliers… L'homme qui va suivre le même groupe de loups, pingouins, scarabées ou dauphins pendant des mois pour nous en expliquer leur vie sociale ou amoureuse force évidemment le respect.

Mais la traque est une quête, au sens noble du terme. Et pour qu'elle ait cette noblesse, il lui faut plusieurs ingrédients. Tout d'abord des difficultés car cela doit rester un challenge et le "héro" devra avoir des qualités et des compétences à la hauteur de la tâche. Puis il faudra un adversaire, lui aussi, débordant d"aptitudes et de capacités afin que le défi reste intéressant. L'arc peut en partie permettre de répondre à cette attente. Les armes à feu ont tellement évolué qu'elles ont éloigné le prédateur de la proie et gommé ainsi une partie de l'essence même de la chasse… le contact ! Intuitivement les pêcheurs l'ont compris, eux qui sont toujours reliés par un fil à leur prise. Ce lien qui les unit à leur adversaire permet pour certains d'entre eux de pratiquer le "no kill" et ils peuvent ainsi relâcher leur poisson. Mais n'oublions pas qu'ils l'ont possédé ! Ils l'ont senti ou mieux encore "ressenti" grâce à leur canne à pêche. Mais ils l'ont surtout touché, caressé et, comble du bonheur, ils ont eu la possibilité de libérer leur proie !

Le contact… Ce fameux contact qui est la clé; il faut toucher ! Certains indiens d'Amérique du nord l'ont exprimé au travers de ce qu'ils ont appelé " la claque de l'ours". J'ai entendu dire, sans trop savoir le fond de vérité de ces affirmations, que les jeunes guerriers s'amusaient à surprendre un ours en tapant son pelage avec le plat de la main avant de s'enfuir… Pour réaliser ce dangereux prodige, j'imagine sans peine leur connaissance parfaite du plantigrade mais aussi de son milieu. L'idée me plait ! Elle m'a tellement plu que plus jeune je me suis amusé à le faire… non pas avec un ours… il y en a peu dans ma Camargue natale… mais avec des sangliers. Pour éviter que ces mammifères envahissent les rizières ou les champs de maïs, et surtout pour les maintenir dans les îlots des marécages, les chasseurs de ma région déversent tous les étés des tonnes de fruits gâtés aux abords de leurs "remises".. J'ai à plusieurs reprises "claqué" le dos d'un jeune mâle lorsque un groupe de ces animaux été occupé à dévorer cette nourriture providentielle au clair de lune. Le faire de nuit m'a apporté le plus grand des plaisirs : quel bonheur d'approcher un groupe mené par une grosse femelle, souvent irascible et surtout, quelle montée d'adrénaline au contact physique de ces animaux sauvages.

Il m'est arrivé, malheureusement une seule fois, d'avoir l'occasion de "jouer" à ce jeu avec un alligator en Floride. J'ai profité du fait qu'il était en train de se glisser dans un passage étroit entre deux arbres. Celui-ci avait dégagé ses deux pattes avant et s'apprêtait à glisser son arrière train entre les deux petits troncs. Sans réfléchir, je me suis précipité pour lui saisir la queue que j'ai maintenue entre mes bras ! Après m'être fait violemment secoué, j'ai lâché prise et couru me mettre à l'abri avant qu'il ait pu s'affranchir des arbrisseaux qui l'empêchaient de se tourner complètement vers moi… une fois encore le contact ! Quelle valeur peut avoir un cliché réussi de cet animal en regard de cette expérience… idiote au demeurant ?

Si l'on se risque à vouloir approcher des animaux comme un chamois dans les Alpes, un Impala en Afrique du Sud, un grand caïman en Guyane… comment les posséder ? Si l'on s'attarde sur ces trois animaux en particulier, si différents de part leur espèce ou leur biotope, on peut leur trouver un point commun : si l'on s'en donne les moyens en deux ou trois jours de patience on peut les observer assez facilement, le plus souvent de loin, chacun dans sa contrée d'origine. Mettons nous à les chasser ! J'ai bien dit à les chasser… pas à les tirer ! Un chamois ou un impala à trente mètres… quel défi ! Un caïman à 15 mètre en plein jour sans qu'il plonge dans les eaux boueuses de l'Oyapock, quel exploit ! Et si maintenant on essayait d'accomplir l'impossible : tirer sur la corde d'un arc. Je dis "tirer" car "bander un arc" ne devrait être employé que pour l'action de mettre la corde sur les branches de celui-ci. Donc tirer nécessite non seulement un mouvement ample mais aussi un espace le plus dégagé possible afin que rien n'entrave les mouvements de la corde. Il faut en outre que le tireur adopte une position spécifique à genoux ou au pire debout, qui restera la clé d'un tir réussi. Croyez-vous qu'un de ces trois animaux, vous laissera suffisamment de temps pour parfaire à ce moment là, une éventuelle visée ? Assurément non ! Que reste-t-il à faire ? Et bien il faudra observer, ressentir en un mot comprendre l'impala, le chamois ou le caïman pour avoir une petite, une toute petite chance d'avoir l'opportunité d'un tir. Je peux dire qu'en plus de 20 ans de grandes chasses, je peux chiffrer par centaines les animaux que j'ai approchés à une distance raisonnable sans avoir l'ombre d'opportunité de tir.

On en arrive au tir… concrétisation de tant d'efforts. Je m'amuse à dire que dans ce type de chasse, il y a deux miracles à accomplir. Le premier est d'être là, à côté d'un animal sauvage sans que celui-ci se doute de votre présence. Le deuxième est de placer votre trait d'une manière parfaite. L'idéal est que même après le tir, l'animal ne puisse pas associer sa douleur à une intervention humaine… particularité recherchée, on le comprendra, lorsque l'archer est en présence de gibier dangereux tel qu'un ours, par exemple.

Le tir est d'une telle responsabilité que pour ma part j'ai choisi un arc compound, c'est-à-dire techniquement très évolué. Ce type d'arme a l'avantage de posséder une puissance exceptionnelle permettant des tirs tendus sur une distance entre 5 et 40 mètres. On échappe ainsi à deux grands inconvénients que les archers subissent : la trajectoire courbe de la flèche et l'influence du vent.

Un autre avantage est celui de stabiliser la force contenue dans les branches lorsqu'on a réussi à passer le pic des poulies (ou cames) situées à leurs extrémités. Ceci permet de placer un dispositif de visée mais par contre condamne le tireur à passer par une étape supplémentaire et joue sur sa rapidité d'action. Evidemment le tir d'instinct réalisé avec un bel arc traditionnel en bois est beaucoup plus en adéquation avec la noblesse de la quête. D'autant plus que ce type d'arc permet des tirs "à la volée" donnant ainsi beaucoup plus d'opportunité aux archers qui les utilisent. Pour ma part, je sais que ma vie professionnelle et familiale ne me permettent pas de m'entraîner journellement. C'est la condition sine qua non pour être suffisamment affûté afin de lâcher avec précision un trait depuis un arc traditionnel en situation de chasse. Mon choix est dicté par le désir de ne tirer que des flèches mortelles ou de ne pas tirer… et c'est ce qui arrive relativement souvent. Analyser, étudier, ressentir, approcher donc vaincre un animal et ne pas lâcher sa flèche.

Alors pourquoi prendre l'arc ?

Justement pour avoir ce choix et disposer de ce libre arbitre.

Encore un paradoxe ? oui !

Il y a quelques mois, j’ai rencontré un des responsables des chasseurs à l’arc de Nouvelle Calédonie. Nous avons beaucoup parlé de notre progression d’archer au sein de cette passion dévorante. Chacun de nous, au fil de ses rencontres, a pu faire la même observation. Tous les adeptes convaincus de notre sport passent par le même type d’évolution : l’arc compound, puis le traditionnel et enfin le "long bow" c'est-à-dire le plus simple, le plus rustique de tous. Cet instrument ancien oblige l’archer à n'utiliser que des flèches réalisées en bois et munies de plumes naturelles. Ce parcours tend à aller vers une chasse de plus en plus antique, vers une traque de puriste.

Je me rappelle le regard malicieux de mon interlocuteur me demandant : "quelle serait l’évolution ultime ?" J’ai hésité à répondre… le dénuement le plus complet… effectivement c’est d’être mains nues… ne plus tirer. On en reviendrait presque à "la claque de l’ours". Encore une fois un paradoxe … Ne plus chasser du tout !

A la vue de ses réflexions, je comprends mieux pourquoi, au fur et à mesure que j’emmagasine des expériences cynégétiques, je conclus de plus en plus rarement mon acte de chasse. Si mes défis sont de plus en plus difficiles, ce n’est pas parce que je cherche à repousser mes limites… Ce que j’ai longtemps cru. C’est plutôt parce que la quête est l’action la plus importante, la plus gratifiante. C’est elle qui va nous faire vibrer, nous transcender, nous pousser au-delà de nos limites. La mort est l’acte final qui met fin à cette communion un peu trop philosophique pour dame nature, il nous ramène à sa dure réalité. Il nous fait assumer le rôle de prédateur c'est à dire la responsabilité de celui qui donne la mort… Assumer c’est alors respecter la dépouille, la valoriser en s'occupant de sa viande et pourquoi pas de son trophée…

La salle des trophées ! Signe extérieur de la gloriole du chasseur, musée des horreurs pour certains… cette pièce répugne ou fascine, mais laisse rarement indifférent. Je dois avouer que j’ai eu du mal à assumer cette pratique à laquelle je me suis soustrait pendant des années. Et puis, petit à petit, j’ai évolué. Je me suis dit qu’avoir sous les yeux cet oryx qui m’a fait courir 10 jours dans le désert n’est pas forcément plus mal que la photo rangé quelque part dans un album. Cette salle des trophées ne doit pas être, de part son existence même, une accumulation de bêtes mortes, uniquement là pour satisfaire un ego ou pour s'acharner à compléter une collection. Si chaque animal a son histoire propre, sa présence sur le mur rappellera et valorisera ainsi l'histoire de ce gibier et les difficultés du chasseur pour l’obtenir. Dérisoire en regard de la disparition d’une bête sauvage … non ! Les Fresques du paléolithique témoignaient il y a 30 000 ans du désir de nos lointains ancêtres à matérialiser les récits de chasse. Cette antilope ou ce sanglier sur le mur étaient destinés, de toute manière, à mourir de façon violente. Cette mort annoncée se serait terminée au cœur d’un buisson par une carcasse déchiquetée et disséminée aux quatre vents. Je respecte énormément les chasseurs mettant en valeur leur expérience avant la longueur des cornes ou le classement de leur trophée. Lorsque je rends visite à un confrère chasseur à l'arc et que je contemple un animal moyen, sans grande originalité, celui-ci peut être transcendé par l'histoire de sa capture si elle est racontée avec passion.

Cette passion qui dévore notre temps est liée à notre besoin d'être sur le terrain. L’amour de la nature ou mieux encore celui de la vie sauvage doit se ressentir pour ma part, autrement que par la vision émue d’un reportage animalier. Cet amour, je me dois de le vivre et il ne peut, en ce qui me concerne rester platonique. J’ai ce besoin viscéral d’être acteur dans ce grand cycle de la vie mais aussi de la mort… Et ceci pour moi, devrait se faire sans tricher, c'est-à-dire en prenant certains risques et en le payant par des actions physiques intenses. Il faut savoir que mises bout à bout ce seront des milliers d’heures d’affût, de marche, d’escalade, d’efforts démesurés que j'ai dû vivre pour arriver à un résultat la plupart du temps, décevant. Que de journées à subir la chaleur, la poussière, le froid ou bien la pluie pour n’entr'apercevoir qu’un mouvement furtif qui restera bien souvent la seule récolte de la totalité d'un séjour de chasse à l’arc. Je me souviens, à l'âge de 18 ans être resté plusieurs heures couché dans la boue glacée de Camargue en attendant le passage d'un sanglier. Dissimulé sous un tronc d'un arbre mort, j'observais au loin les phares d'une voiture.

–" Qu'est ce que je fais là ? " Le gars là-bas est au chaud confortablement assis écoutant sa radio en filant sans heurt sur son ruban d'asphalte.

–" Pourquoi ai-je choisi d'être sur cette planète, si différente de la sienne ?" Dans la nuit, dans le froid, la moitié du corps engourdi pour l'hypothétique passage d'un animal, je me suis posé pour la première fois ce type de question. Je suis certain que chaque chasseur à l'arc s'est interrogé de la sorte des dizaines de fois.

Peut être qu'un élément de réponse réside dans le fait que c’est le chemin, aussi difficile soit-t-il, bien plus que le but qui nous fait avancer.